Poème de René Demeurisse sur la mort de son fils, Alain Demeurisse, résistant F.F.I qui fut fusillé par les Nazis en 1944

MORT DE MON FILS

J'ai dans la main la douille d'une des balles qui t'ont tué. C'est un objet sans attrait, un tube de cuivre grossièrement façonné à la mécanique et sans perfection artisane.

Tu étais attiré par cela dans ton enfance.Tu ramassais les cartouches de 1914 et en emplissais tes poches , elles remplaçaient les billes d'agate de mon temps, tu voulais t'en servir à ton tour.

A quoi pensais- tu, Alain, O mon Ami, quand la voiture t'emportait à travers la futaie vers ton supplice?

Le prévoyais -tu seulement ?

L'espoir d'être interné dans un camp t'animait-il encore?s

Entamais -tu le colloque divin qui précéde la mort, doit la faire craindre et presque désirer ?

Je me souviens d'une attaque en forêt d'Argonne où nous partions pour la reprise d'une tranchée perdue la veille .En sautant sur le parapet, mon pied s'était pris dans un barbelé et je m'irritais en courant sous la mitrailleuse

contre ma chaussure dont le lacet cassé pouvait gêner ma marche.

Les idéaux pour lesquels nous combattions étaient alors absents.

Surveillais -tu les deux bourreaux qui conduisaient l'automobile ?

Les regardais -tu avec colère ou plus simplement avec cette curiosité de l'événement imprévisible qui tend les nerfs et décuple la perception des choses ?

Regardais- tu plutôt les hêtres qui bordaient la route, les grands cierges d'argent dont l'éclat mystérieux donnait à ton calvaire une pompe nouvelle .

René Demeurisse 
septembre 1944

Retour